Some People Believe In God, I Believe In Music

Sujet: Some People Believe In God, I Believe In Music Lun 24 Sep 2012 - 13:23

C’était le soir, Bones venait de verrouiller les portes de sa boutique. La journée avait été fructueuse, il avait eu beaucoup de clients et une longue conversation avec un jeune bassiste. Conversation qui s’était conclue par une offre : un contrat pour jouer de la guitare à deux spectacles privés. Avec cet argent, Bones allait enfin pouvoir souffler un peu. Une journée de congé ne lui ferait pas de mal, à bien y penser.

Pour clore en beauté la belle journée qu’il venait de vivre, Bones se promena dans les quartiers montréalais à la recherche d’un restaurant bien particulier : la Patate à Gratien. Bones ne connaissait pas vraiment le propriétaire, mais il avait développé une certaine complicité avec la serveuse de la place. Vu le manque d’argent qu’il avait ressenti récemment, il n’avait pas pu aller au restaurant depuis pratiquement deux mois.

Lorsqu’il arriva finalement là-bas, l’heure de pointe tirait à sa fin. Les familles venues pour célébrer le début du weekend quittaient pour aller border leurs jeunes enfants. Il l’aperçut aussitôt, derrière le comptoir.

Ses cheveux blonds avaient été glissés à la hâte sous un filet noir et une casquette rouge avec le logo de la Patate à Gratien. Un sourire fatigué décorait son visage aux traits fins. Abby avait beau être exténuée, elle avait besoin de son travail. La vie n’avait pas été facile pour elle, et Bones ne pouvait s’empêcher de compatir.

Le regard bleu d’Abby croisa celui de Bones. Il esquissa un sourire et alla s’asseoir à l’autre bout du comptoir, plus à l’écart. Il s’installait toujours là et attendait que les clients quittent avant de commander. S’il voulait manger du fast-food, il n’avait qu’à aller au McDonald a coin de sa rue. Non, ce qu’il voulait réellement, c’était discuter seul avec Abby, en sirotant des milkshakes et en dansant sur de vieux airs connus qui passaient à la radio. Et il n’y avait pas ce trio-là au McDo.

D’habitude, Bones se contentait d’une frite sauce, mais ce soir, il avait envie de faire des folies. En d’autres termes, il avait envie d’un cheeseburger avec bacon. Il avait les moyens de se payer un extra, et il allait en profiter.

Finalement, les derniers clients quittèrent enfin le restaurant. Abby passa une main sur son front pour en essuyer la sueur, puis elle se rappela de la présence du jeune disquaire. Son éternel sourire en coin refit surface tandis qu’elle s’avançait dans sa direction.

-Bonjour Madame. Est-ce qu’il est trop tard pour commander? s’enquit faussement Bones.

Il lui posait toujours cette même question sur le même ton blagueur.

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La musique entraînante résonnait dans les haut-parleurs médiocres du restaurant, rendant difficile la tâche de deviner les paroles de la chanson qu'Abby chantonnait en flippant des hamburgers sur sa plaque. Elle secouait légèrement les hanches de gauche à droite au rythme endiablé de ce charabia avant de se retourner tout sourire vers ses clients et de remplir leurs burgers généreusement d'un peu de tout. Elle émanait de la joie, affichant un grand sourire de dents blanches et bien alignées, gracieuseté des broches qu'elle portait à l'adolescence.

Aujourd'hui était une bonne journée, une bonne nouvelle lui était parvenue, la laissant tout sourire jusqu'à la fin de la soirée. Elle espérait justement que son client favori passerait le seuil de la porte en cette journée si spéciale. On a tous des clients qui reviennent souvent, font des blagues et qu'on finit par reconnaître et apprécier, mais peu pouvaient nous manquer réellement après 2 mois d'absence. Il faut dire que peu d'entre eux entraient quelques temps avant la fermeture et restaient pour danser, rire et parler jusqu'aux petites heures du matin, éclairés par les néons faibles de la place. Il s'était formé une sorte d'amitié, un lien spécial qui appartenait à cet environnement. Sans savoir pourquoi, elle n'avait jamais contacté le jeune homme en dehors du travail.

Il arriva, ce qui ne surprit presque pas Abby, pour qui la journée semblait aller de mieux en mieux. Après tout, pour finir la soirée en beauté, quel meilleur dessert y a-t-il que la présence enivrante d'un ami qu'on voit peu? Elle se dirigea promptement vers la port et ferma le néon qui indiquait qu'ils étaient ouverts. Elle ferma les stores et verrouilla la porte avant de se retourner vers Bones avec un grand sourire.

— Bonjour Madame. Est-ce qu’il est trop tard pour commander?

— Bien sûr que non, l'assura-t-elle d'un ton tout aussi blagueur.
Elle laissa tremper des patates dans l'huile en préparant sa commande inhabituelle. Elle refusa l'argent tendu avec un sourire.

— J'ai quelque chose à te dire, commença-t-elle. Gratien se fait vieux, il prends sa retraite en quelque sorte et il me laisse la direction du restaurant. Autrement dit, I can do whatever the fuck I want. Il me demande juste de garder le nom tant qu'il est encore là. Je pense que sa santé a pris un coup, il ne lui en reste plus beaucoup, du temps.

Son sourire s'effaça temporairement alors qu'elle retourna à ses hamburgers. Le vieillard lui avait offert une chance que ses parents ne lui avaient pas laissé. Il croit assez en elle pour lui laisser la direction du restaurant. Son regard s'embrouilla un peu avant qu'elle ajoute sur un ton plus léger:

— J'pense qu'il me faut un milkshake.

Bones écouta attentivement Abby lorsqu’elle lui annonça que Gratien lui léguait, en quelque sorte, le restaurant. Le sourire d’Abby trembla alors qu’elle lui avouait que Gratien n’allait pas très bien. Bones ne savait pas quoi dire. Il était conscient de l’importance du vieil homme sur la vie d’Abby, et il était sincèrement triste pour elle.

Elle lui tourna le dos pour s’occuper des hamburgers et Bones en profita pour glisser son argent dans le pot de tip.

-J’pense qu’il me faut un milkshake.
-Je seconde, répondit Bones. Je vais les faire, t’inquiète, ajouta-t-il alors qu’elle esquissait un mouvement vers la machine.

Abby avait besoin de parler, et ça se voyait. Rien de mieux que des milkshakes pour se confier.

Bones observa la machine à milkshake avec un air entendu. Ça ne devait pas être si compliqué. Il avait toujours regardé Abby les faire. Il posa un verre sous la saveur désirée et appuya sur un bouton. Rien ne se produisit. Il appuya sur un autre. Toujours rien. Il jeta un regard derrière lui. Abby esquissait un faible sourire amusé. Bones n’arrivait peut-être pas à faire de milkshakes, mais il avait réussi à chasser les larmes des yeux de son amie.

Il finit par abdiquer et il laissa Abby faire les milkshakes. Lorsque le repas fut prêt, Bones entraîna Abby à une table près de la fenêtre et il y déposa les cabarets. Il alla chercher des pailles pour les milkshakes et retourna s’asseoir.

-C’est vraiment triste pour Gratien, finit-il par dire. Qu’est-ce que tu vas faire?

Le sourire à Abby disparut de nouveau. Bones reconnut aussitôt l’air sur son visage. L’air de quelqu’un affreusement triste, quelqu’un qui avait perdu quelque chose de cher, pire, en train de le perdre. Et Bones ne pouvait qu’assister à la tragédie, impuissant.

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Les burgers étaient enfin prêts, d'un agile coup de spatule, elle le projeta sur les pains à sa gauche. Elle les remplit rapidement de toutes les garnitures possibles, évitant soigneusement les oignons pour son burger. Elle projeta sa tête vers l'arrière avant que ses larmes ne foutent en l'air son maquillage et se retourna vers Bones qui semblait inapte à faire fonctionner la machine.

— La machine est brisée, se moqua-t-elle avec un sourire en coin.
Elle pointa le malaxeur qui trainait plus au bout du comptoir.

— C'est ça qu'il faut utiliser, dit-elle en se dirigeant vers l'engin pour y ajouter de la crème glacée et du lait.

Elle ajouta une banane avec ces ingrédients et tendit le résultat à Bones:

— Choco-banane, expliqua-t-elle avec le même sourire en coin.

Elle tenta de s'emparer des cabarets mais fut devancée par son copain qui se dirigea promptement vers la fenêtre. C'était l'endroit où ils mangeaient toujours, la seule fenêtre sans stores qui laissait entrevoir une partie des lumières de la ville, majoritairement des phares de voiture sur le boulevard Décarie. Elle laissa son regard dériver dans les lueurs dansantes du trafic, sa lèvre du bas torturée par des dents, tic qu'elle avait développé et ressortait quand elle était triste. Elle pensait à Gratien, à ce qu'il avait fait pour elle. Elle pouvait seulement lui garantir de ne pas laisser son restaurant à l'abandon.

— C’est vraiment triste pour Gratien, finit-il par dire, obtenant un sursaut d'Abby. Qu’est-ce que tu vas faire?

— Pour être honnête, je n'ai rien de précis. Je sais juste que je vais faire rouler le restaurant sur l'or. Je veux qu'il voie ce restaurant dans toute sa splendeur avant qu'il parte. Il rêvait de changer le menu, de faire des rénovations, je vais les faire. Si je dois contacter mon père pour ça, je le ferai.

Son air soudain si déterminé l'aurait sûrement faire rire si elle s'était vue dans le miroir. Après tout, un air de politicienne dure sous une casquette rouge et un filet à cheveux, c'était plutôt inattendu. Elle se ressaisit et dirigea son regard vers Bones. Elle détailla ses cheveux blonds-blancs pointant dans toutes les directions, ses yeux gris qui exprimaient un souci véritable et son corps plutôt mince, quoiqu'il était en forme.

Une chanson de swing commençait à jouer dans les hauts parleurs du restaurant, le même genre de chanson sur laquelle ils avaient dansé la première fois en riant aux larmes. Ça apporta un sourire aux lèvres d'Abby qui décida de se lever et d'attirer Bones par la main entre deux tables pour danser. Elle n'avait aucune base en danse, se doutait que ce n'était sûrement pas du swing, mais c'était amusant et elle pouvait passer une éternité à déconner comme ça.

Il n’avait même pas eu le temps de terminer son cheeseburger qu’Abby l’entraînait pour danser. Danser était un grand mot. Ils s’amusaient plutôt à secouer la tête avec exagération sur le rythme de la musique tout en faisant un peu d’improvisation pour rigoler. Au moins, ça leur changeait les idées.

Bones ne put s’empêcher de laisser ses pensées vagabonder. Si Abby comptait améliorer ce restaurant, elle allait avoir besoin de beaucoup d’argent. Et d’après ce qu’il avait entendu du père d’Abby, celui-ci n’allait pas être des plus enclins à participer à la rénovation d’un fast-food en ruine.

Bones pouvait aider, quant à lui. S’il gardait un peu d’argent de côté après les concerts de la semaine suivante, il pourrait facilement amasser six cent dollars, avec les recettes de la boutique. Ça allait déjà être un bon début pour acheter une nouvelle machine à milkshake… Il pourrait toujours se serrer la ceinture pour trouver plus d’argent. Il était habitué de sauter quelques repas. Un de plus ou un de moins ne ferait pas vraiment de différence…

Bones secoua la tête.

-Faut que je m’assoie, souffla-t-il doucement à l’intention d’Abby.

Il récupéra son siège et observa avec réticence son cheeseburger avant d’en prendre une autre bouchée. Il était complètement perdu dans ses pensées, en train de planifier le budget complet du mois prochain. Adieu les congés, il allait devoir travailler encore sept jours sur sept s’il voulait aider Abby. Et il ne devait pas lui en dire un mot, parce qu’elle refuserait à coup sûr. Pourtant, c’était la seule solution si elle voulait que Gratien voie le nouveau restaurant avant qu’il ne succombe à… la vie.

Lorsqu’il releva la tête, Bones constata qu’Abby s’était assise sur la table en face de lui. Il lui adressa un faible sourire, soudainement très fatigué, puis il se ressaisit. Abby n’avait pas besoin de connaître ses tracas financiers, elle en avait suffisamment sur les épaules avec les siens.

-Excuse-moi, je devais absolument prendre une bouchée, je meurs de faim, inventa stupidement Bones en prenant quelques frites dans l’assiette de son amie.

La musique était plus calme que tout à l’heure. Bones se leva et tendit la main à Abby.

-Shall we dance? dit-il en lui faisant un clin d’œil.

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Bones ne resta pas longtemps à danser avec elle, une minute à peine et il se rasseyait, à fixer le vide et à prendre une bouchée de burger. Elle ravala sa déception et afficha son sourire en coin habituel avant de retirer sa casquette et son filet, laissant déferler ses cheveux blonds légèrement ondulés. Elle retira aussi son tablier, le lança sur la banquette et s'assit sur la table devant Bones. Elle le laissa penser, voyant une ride se creuser entre ses sourcils due à son air sérieux.

Il l'invita soudain à danser et elle ricana au choix de la chanson. Back To Black d'Amy Winehouse, chanson qu'elle aimait tout de même. Elle ne savait pas trop comment danser à ce rythme et ça vira en une sorte de slow avec quelques fois où elle se laissait guider à tourner rapidement. Elle glissa sa main hors de la poigne de Bones et se dirigea vers la porte avant de lui demander toute souriante:

— Tu me fais confiance?

Elle secoua son trousseau de clé et trottina jusqu'à sa vieille Tercel après avoir verrouillé les portes du magasin et activé le système d'alarme. Elle déverrouilla manuellement la porte du côté passager avant de démarrer le moteur après quelques essais. Elle conduisit rapidement au travers des rues peu occupées, dépassa de beaucoup les limites de vitesse et faisant quelques (plusieurs) stop américains. Elle s'arrêta enfin devant son appartement.

— Bienvenue à mon humble demeure, fit-elle en mimant un salut théâtral. Ne te fais pas d'idées, j'vais juste me changer.

Elle rentra dans l'établissement et se dirigea vers le deuxième étage, ouvrant sa porte sur le petit salon. Le logis n'était pas grand, mais bien décoré. Déménager la chambre d'Abby dans cet appartement avait fourni suffisamment de décorations pour l'étage. Le blanc et le noir prédominaient sur quelques touches de couleurs ici et là. C'était chic et féminin, à l'image d'Abby quand elle portait autre chose que son uniforme.

— J'reviens, y'a de la bière dans le fridge et le mot de passe pour utiliser mon laptop c'est Abz.

Cela dit, elle se dirigea dans sa chambre et se changea rapidement, jetant son uniforme au sol pour l'échanger contre une robe légère, rouge et courte. C'est là aussi qu'elle se rendit compte que la porte était entrouverte, donnant pile sur la table de cuisine où elle avait laisser s'installer son ami. Elle se précipita vers la porte et la ferma sèchement dans un clac sonore. Il lui restait à se maquiller et à se coiffer, ce qu'elle fit rapidement avant d'admirer le résultat dans son miroir. Elle était splendide, comme toujours. C'était l'habit qu'elle portait chaque fois qu'elle allait à sa destination secrète.

— Alors, qu'en pense-tu? demanda-t-elle en paradant dans la cuisine.

Bones était encore en train de se remettre du tour de montagne russe qu’il venait de vivre dans les rues de Montréal lorsqu’Abby déclara qu’elle devait aller se changer. Il la regarda partir à sa chambre, puis il s’assit à la table de la cuisine. Abz, tu parles d’un mot de passe sécuritaire. Il n’utilisa toutefois pas l’ordinateur, préférant rester calme un moment pendant qu’il en avait la possibilité. Il n’avait aucune idée où Abby voulait l’amener, mais il avait le pressentiment que ça n’allait pas être de tout repos. À moins qu’ils ne restent ici pour la soirée?

Bones jeta un coup d’œil à la pièce. Il n’avait jamais été chez Abby. Son appartement était déjà mille fois mieux que le sien. Il faut dire que les décorations y étaient pour beaucoup. Chez Bones, le désordre était le seul décor en soi. Un champ de bataille abandonné, des masses inertes de vêtements, c’était de l’art abstrait à son état le plus primitif en quelque sorte.

Le regard à Bones vagabonda jusqu’au couloir où il remarqua la porte entrouverte de la chambre à Abby. Celle-ci était en train de troquer son uniforme avec… une robe? Une robe! Abby avait des robes! Bones pencha un peu la tête sur le côté, un air vaguement absent au visage. Il aperçut une paire de jambes, longues et lisses, des hanches remarquables et… une porte qui claqua. Bones secoua la tête. Abby avait-elle vu qu’il l’observait? Qu’est-ce qui l’avait pris de la regarder se changer? Il se sentait comme le petit frère curieux qui espionnait sa grande sœur… sauf que la grande sœur en question était vachement attirante tout d’un coup.

Bones n’avait jamais songé à l’apparence d’Abby comme telle. Certes, il trouvait qu’elle avait des beaux yeux (comme à peu près toutes les filles qu’il croisait) et que ses cheveux étaient dignes d’une annonce de shampoing, mais jamais au grand jamais il n’avait accordé la moindre importance à ce qu’Abby dégageait en tant que… femme.

Bones s’éclaircit la gorge, un peu gêné. Bah, elle ne l’avait probablement pas remarqué. Justement Abby le rejoignit dans la cuisine.

-Alors, qu'en penses-tu? demanda-t-elle en paradant.

Elle ne semblait pas fâchée, heureusement. Le malaise de Bones disparut aussitôt. Il jugea rapidement la robe d’Abby. Rouge, courte, sexy.

-Tu es ravissante, la complimenta-t-il avec un sourire.

Bones se leva lentement de sa chaise et croisa les bras, perplexe.

-Où on va au juste? voulut-il savoir. Parce que si tu portes une robe… peu importe l’endroit où on ira, je vais probablement être underdressed à côté de toi.

Le jeune homme portait des pantalons serrés noirs avec un t-shirt blanc. En guise de manteau, il s’était contenté d’une veste simple noire.

-J’ai une cravate à la maison, signala-t-il. Et une chemise. Mmh, faudrait voir si elle est propre, mais je sais que j’en ai une, marmonna Bones, à demi-perdu dans ses pensées.

Il resta silencieux un moment, puis reporta son attention sur Abby en tâchant de la regarder bien dans les yeux.

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Entendant les soucis de son copain, elle eut un flash permettant d'éviter les détours. D'un doigt levé en l'air, elle lui fit signe d'attendre avant de partir à trottiner dans les recoins de l'appartement en quête d'accessoires. Elle revint avec un chapeau de son ex, appuya celui-ci fermement sur la tête de Bones et une cravate. Elle la laissa pendre autour du cou de son ami avec de replacer ses cheveux sous le chapeau. L'agencement des vêtements, la coiffure et la mode étaient des formes d'art maîtrisées par la demoiselle blonde. C'est donc d'une main d'experte qu'elle replaça les mèches rebelles sous le chapeau noir, fit un noeud de cravate plutôt lousse parce que Bones n'avait clairement aucune idée de comment nouer l'accessoire et lissa les plis dans le chandail du jeune homme. Elle repassait lentement une main dans son toupet alors que leurs regards se croisèrent, provoquant un sourire niais de la part d'Abby.

— Tu es... smoking hot mon cher, dit-elle sincèrement.

Il avait une allure jeune et sexy, n'empêchant pas qu'il pourrait la suivre à la destination surprise et être dans son élément.

— On va au casino ce soir, dévoila-t-elle. J'ai une petite passe d'argent à faire et crois-moi je sais mieux que quiconque comment faucher les hommes au poker. Tu ne trouves pas que ma robe est parfaite pour ça?

Elle chaussa ses talons aiguilles noirs et se dirigea vers la Tercel, qu'elle conduisit tout aussi imprudemment jusqu'au casino de Montréal. Son petit sac à main noir entre ses doigts vernis d'un rouge éclatant, elle était prête à faire cracher le cash. Elle enfila son bras à celui de Bones avant de le guider vers l'entrée. Ils entrèrent donc dans cette place du jeu où les horloges sont aussi rares que des lapins roses.

— Je vais joindre cette table ici, ils jouent avec de gros montants mais il est tard et ils ont pris pas mal de couleur. Sûrement à cause des nombreux verres vides sur la table. On se voit dans 10-15 minutes, fit-elle en lui donnant un chaste baiser sur la joue avant d'hausser les sourcils d'un air taquin.

Elle s'assit donc avec les hommes à la cravate défaite et au ton bruyant, laissant son décolleté et ses talents indéniables faire le travail. Son père lui avait appris à jouer à ce jeu lorsqu'elle avait 10 ans. À ses 15 ans, elle avait réussi à le faire perdre toute la fausse argent avec laquelle il jouait. À ses 19 ans, elle avait même pu se joindre à certaines de ses parties avec des partenaires d'affaires importants, mais elle s'efforçait de ne pas jouer trop fort pour leur éviter la honte de se faire foutre une râclée par une jeune fille et qu'ils soient quelque peu rancunier à son père par la suite. Elle était jeune, mais l'esprit des affaires était déjà ancré en elle.

C'est donc avec aisance qu'elle les laissa remporter quelques manches, jouant la blonde idiote, avant d'utiliser ce bluff à son avantage et de repartir avec 2500$. Son style de jeu était laisse-toi avoir, joue fort et repart. Elle se précipita vers le bar où elle croyait avoir vu son ami et fut ravie de le voir avec un verre à la main et un compagnon masculin à ses côtés. Elle s'assit donc à ses côtés, croisant ses jambes sur le tabouret et se commandant un cosmopolitain.

Bones observa Abby disparaitre dans la mare humaine avec un air amusé. Il passa une main dans ses cheveux et jeta un coup d’œil aux alentours. Il n’avait plus un sou sur lui, il avait tout laissé à Abby, dans le pot de tip de la Patate à Gratien. Que pouvait-il bien faire sans argent dans un casino? Il ne pouvait même pas boire tranquille dans un coin! À moins que…

Bones scruta rapidement la foule qui jouait et perdait tout en riant. De nombreuses filles, habillées avec autant de charme qu’Abby, se promenaient sans trop toucher aux machines. La plupart se promenait en troupe de trois et elles avaient toutes les yeux rivés sur des mâles concentrés aux cartes. Bones eut un sourire. Il n’avait qu’à se faire payer un verre s’il le voulait. Certes, se faire payer un verre par une fille, c’était plutôt rare et pas très gentleman, mais il n’avait pas vraiment le choix.

Bones chercha une cible potentielle, une jeune femme déjà un peu réchauffée, qui n’aurait pas ses priorités à leurs places habituelles. Il en remarqua quelques-unes, mais toutes étaient déjà abordées par d’autres hommes, certains très vieux à la consternation de Bones. Il secoua la tête et alla s’asseoir près du bar. Tant pis s’il ne pouvait rien se payer, il allait au moins être assis.

Il leva les yeux pour essayer de trouver la table à laquelle Abby jouait. Il sursauta lorsqu’un homme se planta devant lui.

-Euh, bonjour…
-Salut.

L’homme s’assit à côté de lui. Bones abandonna les recherches d’Abby pour se tourner vers l’avant. L’homme lui lança quelques regards, puis il reprit la parole.

-Je m’appelle Benjamin, se présenta-t-il en me tendant la main. Mais je préfère qu’on m’appelle Ben.

Bones réprima un soupir. Il n’aimait pas les présentations.

-Moi c’est Bones, répliqua-t-il en serrant rapidement la main de Ben.
-Bones?
-Oui.
-C’est cool comme nom.
-Mmh, mmh.

C’était plus un surnom qu’un nom, mais il faisait avec. L’homme lui posa quelques questions supplémentaires. «Tu travailles?» Oui, j’ai une boutique de musique. «Tu joues de la musique?» Oui, de la guitare surtout. «J’ai toujours voulu apprendre la guitare. Tu donnes des cours?» Non. Vraiment cet homme semblait vraiment intéressé par Bones, mais le guitariste n’arrivait pas à comprendre pourquoi. Qu’est-ce que ça pouvait bien lui foutre qu’il vende des mangas et des CD pour survivre?

-Je t’offre un verre? proposa Ben avec un sourire innocent.

Bones leva les yeux vers son interlocuteur. Il avait des cheveux bruns coupés courts et ses iris bleus étaient à couper le souffle. Il était bien habillé, cravate et veston classes, et sa chemise moulante dévoilait un corps plutôt musclé. Bones jeta un regard derrière lui. Toujours pas d’Abby en vue. Bones haussa les épaules. Pourquoi pas après tout?

-D’accord, accepta-t-il.

Le sourire de Ben se fit plus franc, puis il commanda deux martinis. Ils continuèrent à parler un peu. Bones n’avait pas bu de boisson depuis une éternité et, rapidement, une sensation de chaleur le traversa. Ben lui offrit deux autres martinis que Bones ne put refuser. Sans trop savoir quelle heure il était et si Abby était toujours dans le casino, Bones rigolait avec Ben. À quelques reprises, il sentit le pied de Ben effleurer le sien et quelques dragues ringardes, mais discrètes, furent également lancées.

Finalement, Abby apparut subitement à ses côtés, en train d’attendre un cosmopolitain.

-Abby! s’écria Bones, ravi. Faut que j’te présente quelqu’un… Il s’appelle Ben, il est génial. Ben, voici mon amie, Abby.

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Abby afficha un sourire éclatant à l'attention de Ben. Il avait l'air tout à fait charmant. En plus il était un très bel homme. C'était bien pour Bones. Oui, elle avait remarqué le détail discret qui déclarait que Ben était homosexuel. La petite broche du triangle rose, symbole datant de la deuxième guerre mondiale, attachée à sa chemise très bien agencée au reste de ses vêtements avait vendue la mèche.

L'idée que Bones était homosexuel frappa Abby de plein fouet, semblant tout à coup parfaitement logique. Après tout les hommes parfaits sont tous homosexuels ou mariés. Elle se montra tout de même de bonne compagnie à l'homme qui leur payèrent plusieurs verres. Moins à Abby qui préférait siroter que de boire, après tout, elle conduisait. (Quoique ce ne l'avait jamais vraiment arrêté.) Par contre, l'homme semblait déterminé à investir le bar au complet pour s'attirer les faveurs de Bones.

Souhaitant tout de même rentrer chez elle, vu l'heure tardive, Abby commença a jeter de discrets regards à son cellulaire à l'attention de Bones qui était visiblement trop soûl pour comprendre. Elle décida qu'il était assez vieux pour vivre avec les conséquences de l'alcool et lui lança l'ultimatum:

— Bon je dois y aller, j'te ramène Bones ou tu veux rester un peu?

— Oh, je vais le ramener, ne vous inquiétez pas, s'interposa Ben, un peu trop poli au goût d'Abby.

Elle jeta un regard à Bones, qui avait probablement déjà perdu le fil de la conversation avant de le décoiffer amicalement et de se diriger vers la sortie. Sifflée par un vieil homme trop soul. Elle échangea les jetons dans son sac à main contre de l'argent et sortit.

Elle fit le chemin inverse avec sa Tercel, se rendant chez elle. Elle retira ses talons d'un coup de pied, les laissant voler sur sa causeuse et se coucha toute habillée, le visage dans son oreiller moelleux. Le sommeil la cueillit rapidement.

Elle se réveilla au son strident de son alarme, assena un coup violent au bouton snooze de son réveil-matin et traîna ses pieds jusqu'à sa douche.

Elle se prépara rapidement et se dirigea vers le restaurant afin d'ouvrir. Elle prendrait sûrement congé dans la soirée et confierait la cuisine à François. Elle s'installa donc derrière le comptoir, compta la caisse, prit ses pourboires en souriant devant le billet évidemment laissé par Bones. Il ne restait plus qu'à ouvrir, ce qu'elle fit. À peine était-elle rendue derrière son comptoir que le carillon de la porte tinta.

Bones regarda Abby s’éloigner sans vraiment la voir. Il se retourna vers Ben qui lui paya quelques verres supplémentaires. Quelques martinis plus tard, Bones riait sans raison, à moitié couché sur le bar. Ben jeta un coup d’œil à sa montre.

-Ouah, il est tard, on devrait peut-être partir… Tu habites où?
-Ah, ça, c’est mon secret, répliqua Bones avec un clin d’œil.

Ben esquissa un sourire.

-Comment je suis censé te reconduire à la maison si tu ne me dis pas c’est où?
-Mmh, bonne question…
-Et si tu passais la nuit chez moi? proposa Ben.

Avec l’état dans lequel il était, Bones trouva l’idée excellente. Les deux hommes sortirent du casino, l’un soutenant l’autre pour ne pas qu’il s’effondre par terre. Bones remarqua une petite broche rose sur la chemise de son ami.

-C’est quoi ça? Le cancer du sein?
-Non. C’est pour dire que je suis gay.
-Hein?

Bones cligna des yeux, surpris. Ben était gay. Eh bien…

-T’avais pas remarqué? s’étonna ce dernier.
-Non. Je… Je suis pas très observateur pour ces trucs-là, balbutia Bones, confus.

Bon sang, il n’aurait pas dû accepter autant de martinis, il n’arrivait même plus à penser. La dernière chose dont il se souvint fut les lèvres de Ben plaquées sur les siennes.

Quelques heures plus tard

Bones se réveilla avec un mal de tête effroyable. Un rayon de soleil atterrit en plein dans son œil lorsqu’il ouvrit les yeux. Il réprima un gémissement et tourna dos à la fenêtre. Il tomba nez-à-nez avec un Ben endormi. Les yeux à Bones devinrent ronds comme des billes et il resta immobile durant quelques secondes. Restons calme. Bones se releva lentement et observa la pièce dans laquelle il se trouvait.

Des menottes traînaient près du lit, à côté d’un costume de Hulk. Bon sang, qu’est-ce qu’il avait fait hier soir? Bones sortit doucement les jambes de sous les couvertures en s’assurant de ne pas réveiller Ben. Il localisa ses vêtements éparpillés dans la pièce et les ramassa silencieusement en faisant de nouvelles découvertes. Une boîte de condoms à saveur de fraise, de la crème fouettée en spray, des griffes de Catwoman... Restons calme…

Bones enfila rapidement ses vêtements et quitta la chambre. En cherchant la porte d’entrée, il passa devant un miroir. Il figea en voyant son reflet. Il avait une sucette dans le cou, des brillants sur les joues… Un frisson le parcourut tandis qu’il retirait les oreilles de chat qu’il portait. Bones s’empressa de quitter l’appartement.

Il plissa les yeux en sortant à l’extérieur. Le soleil éclatant l’aveugla quelques secondes, puis Bones réussit à se situer. Il était à une trentaine de minutes de chez lui… et à quelques rues de la Patate à Gratien. Un sentiment indescriptible s’empara de Bones, un mélange de colère et de honte, alors qu’il se dirigeait vers le casse-croûte. Le restaurant venait probablement tout juste d’ouvrir. Bones poussa brutalement la porte et se planta au comptoir, où Abby lui faisait dos. Il attendit qu’elle se retourne avant de lui adresser la parole.

-What the hell?! s’écria-t-il. Pourquoi tu m’as laissé seul, soûl, avec un inconnu gay?!

Il croisa les bras, boudeur.

Messages : 9 Date d'inscription : 30/07/2012 Age : 32 Localisation : Québec

Abby se retourna pour voir son ami, couvert de brillants avec une sucette mal camouflée par son col et des cheveux post-sexe. Quoiqu'avec Bones c'était peut-être ses cheveux normaux. Elle prit le temps de le regarder de haut en bas quelques fois avec un mélange d'empathie et de fou rire dans son esprit. Elle finit donc par répondre à sa question avec un:

— Tu as l'air de t'être amusé. Je pense que pour un gars qui accepte les drinks d'un autre homme et qui se faisait carrément faire du pied, tu mets beaucoup d'emphase sur le fait que ton partenaire sexuel de ce soir était gay. Autrement dit, j'suis désolée, mais j'préfère savoir que tu t'es amusé avec quelqu'un qui t'intéresse physiquement que tu aies été malade dans ma voiture.

Que voulait-il, qu'elle l'ait ramené avec lui alors qu'il se faisait faire du charme par un homme très beau et sympathique? Après tout, il devait bien aimer les mêmes hommes qu'elle, ils avaient tant en commun. Cette pensée fit hausser un sourcil à Abby, rare étaient les hommes qui avaient tant en commun avec elle dans son entourage.

— Aussi, je tiens à te rappeler que tu es un adulte et que c'est à toi de boire responsablement ajouta-t-elle en mouillant une guenille. Bouge pas, j'vais t'enlever les brillants et tu auras l'air de quelqu'un qui a du sexe normal. J'me demande seulement pourquoi es-tu si choqué? J'veux dire à notre âge, c'est pas catastrophique un one-night çà et là.

Elle détailla le visage de son ami. Il avait les lèvres rougies, les yeux cernés, (probablement avait-il peu dormi) les sourcils froncés (ça, c'était probablement sa faute) et un reste de petits brillants sur la joue droite.

Elle ne pouvait effacer une trace de déception dans son cœur. Pas qu'elle était amoureuse de Bones, pas du tout. Elle aimait juste l'idée qu'un homme s'intéresse enfin à elle. Peut-être avait-elle quelque chose pour lui en retour, mais elle avait d'autres choses auxquelles penser plus qu'à ses sentiments pour un quasi-inconnu. (Duquel elle était devenue très proche en fait.)

Elle glissa sa main entre les bras croisés de Bones dans le but de lui faire adopter une posture plus réceptive avant de lui glisser que s'il était plus intéressé par elle, il n'avait qu'à la poursuivre en courant et tenter de la convaincre qu'il était l'homme parfait. Avec un sourire énigmatique, elle retourna derrière le comptoir et laissa les frites tremper dans l'huile, s'activant sur son travail, laissant sous-entendre que si la conversation devait continuer, ce serait à Bones de parler.

Sujet: Re: Some People Believe In God, I Believe In Music Lun 1 Oct 2012 - 14:56

Bones baissa finalement les bras en poussant un léger soupir. Il ne pouvait pas être fâché contre Abby. Elle avait raison après tout, il était un grand garçon (stupide) qui était en mesure de choisir ses partenaires au lit. Bones se frotta les yeux, puis il s’assit au comptoir, piteux.

-Désolé, marmonna-t-il en appuyant sa tête dans la paume de sa main droite. Je suis pas vraiment l’homme parfait.

Bones gratta une saleté sur le comptoir avec un air absent.

-J’y crois pas, soupira-t-il. Comment j’ai fait pour ne pas voir qu’il était gay? Ça crevait les yeux bon sang! Et lui, il devait penser que je l’étais aussi… Pff, je suis pas habitué à avoir des one-night avec des gars. D’habitude…

Bones s’interrompit, réalisant qu’il pouvait peut-être garder une petite gêne vis-à-vis Abby quant à son activité sexuelle.

-M’enfin, je le reverrai probablement jamais, espéra Bones en se redressant. J’suis désolé d’avoir gâché notre soirée hier… Je t’ai même pas dit au revoir je crois…

Il tapota le comptoir, soudainement mal-à-l’aise.

-Bon, je te dérangerai pas plus longtemps, balbutia-t-il. J’essaierai de revenir durant la semaine pour que tu me tiennes au courant de Gratien et de tes plans pour le resto. Si jamais t’as besoin de quoi que ce soit…

Il prit un crayon et une serviette de papier qui traînaient par là et il écrivit rapidement son numéro de téléphone.

-Tu peux me rejoindre là, c’est là que je travaille et je vis pratiquement là, expliqua rapidement Bones en se levant de son siège. Merci pour le nettoyage faciale, je ramènerai tes vêtements la prochaine fois, promit-il.

Il se mit sur la pointe des pieds et rendit le baiser qu’Abby lui avait donné la veille.

-See ya, darling.

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