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 They say war is a drug

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Kyle

Kyle


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MessageSujet: They say war is a drug   They say war is a drug Icon_minitimeMer 8 Jan 2014 - 17:57

C'est un texte que j'ai commencé y'a suuuper longtemps alors désolée pour les inégalités dans le style qu'il peut y avoir. Je viens de relire et j'ai décidé que finalement, il était pas mal terminé, alors voilà.
C'est Kyle de la PIRIA, le tout début de son histoire en fait. ENJOY.

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They say war is a drug

Il est né Kim Danvers, mais Kim Danvers n’a jamais vraiment existé.

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Il est élevé dans un orphelinat pas très riche de la ville de Richmond, en Virginie. Orphelin, dit-on, mais ce n’est pas ce qu’il est réellement. Le mot devient vite mensonge et il regarde en arrière et réalise qu’il n’y a rien qui puisse le définir. Rien à l’exception de la rue, battant dans ses veines en une dangereuse pulsation, du sang sur ses lèvres et sur ses jointures, une fresque de fleurs bleues sur son corps.  

Il n’est pas orphelin, il est un enfant de la ville, les yeux sombres et le poing trop léger, qui se bat comme une seconde nature, qui court pour atteindre un bout du monde qui n’existe pas.

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Il a six ans et est toujours seul ou presque, taciturne et griffonnant des dessins incompréhensibles à coups de crayons de cire lorsqu’il n’est pas en train décamper dans les couloirs de l’orphelinat. On s’inquiète à son sujet à l’occasion, on murmure des mots comme troubles du développement ou déficit d’attention. On se dit, Dieu aide cet enfant.

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À sept ans, il touche une première fois à un art martial. Programme spécial du gouvernement, aider les pauvres orphelins sans le sou histoire d’écouler la culpabilité occasionnelle de l’État; on en sélectionne quelques-uns qui se voient offrir l’accès à l’activité de leur choix, tous frais payés jusqu’à leur graduation de l’école secondaire pour autant qu’ils soient inscrits à un établissement scolaire. C’est une chance ironique qui le privilégie. On lui cherche quelque chose qui le ferait bouger, mais aucun sport d’équipe ne l’intéresse réellement. Il hésite un temps pour la course, puis on lui présente la possibilité de suivre des cours de kung fu. (Avec une certaine hésitation, non sans espérer que cela l’oriente pour le mieux au lieu de l’inverse.)

Il a écouté des films, des vieilles copies cassettes de cultes d’arts martiaux asiatiques, de Bruce Lee et Jackie Chan et Jet Li et Tony Jaa et tant d’autres, des images et des images de putains de yeux bridés qui fléchissent les genoux, crispent les poings, jouent des pieds et défoncent, défoncent, défoncent sans en laisser un seul debout, des maudits chinois qui pour une fois sont plus forts que tout le monde.

Au final, son choix n’est pas difficile. Les premiers pas qu’il fait sont comme une danse pour lui, une danse mortelle et précise, et le reste, le reste devient son addiction.

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Il y a une différence entre les combats de rue et ceux dans un kwoon. Les premiers étant sans contrôle, impulsifs et fourrés de violence gratuite, de mouvements sans queue ni tête, simplement car il n’y a pas de réflexion lors d’un combat improvisé, il n’y a que lui et l’autre et les dents qu’il doit casser, le nez qu’il doit défoncer, les lèvres qu’il doit voir saigner. Les seconds sont lignés de respect et de maîtrise de soi, plus complexes et mesurés, avec une conduite à suivre, des règles aussi, hop on s’incline et on se relève, on se salue et on déclare : c’était un bon combat, merci bien.

Il se nourrit des deux, se rend malade de coups de pied au ventre et de poings sur le visage, de vêtements trop blancs et de tapis rêches contre sa joue. Il vibre de l’ordre et du chaos parfait.

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Son quartier n’a pas de pitié, pas même pour un enfant, et il apprend à ne pas en donner lui-même. Il est un enfant de la rue et la rue résonne dans son sang comme une violente mélodie.

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Il se retrouve dans un poste de police pour la première fois lorsqu’il essaie de voler un commerçant d’une palette de chocolat. Il a dix ans et tente de mordre la main du propriétaire qui veut lui retirer sa friandise. Il est seul, bien trop jeune et il refuse de dire quoique ce soit à tout adulte lui adressant la parole. Le policier qui vient le chercher a les yeux cernés, le teint épuisé. Il soupire profondément en le voyant, gamin de dix ans avec des cheveux sombres et des yeux comme des abysses, petit et maigre qui agrippe sa barre de chocolat comme si elle était soudée à sa paume. Il n’est ni le premier ni le dernier, mais il est un triste spectacle malgré tout.

On le traine au poste par le collet. Assis sur une chaise en solitaire dans une salle impersonnelle, il croque dans son chocolat avec délice. Il ne dit toujours rien. On le garde une heure, puis deux, puis trois, puis l’après-midi au complet et en soirée, on finit par le retracer à son orphelinat. Il est presque déçu. Une policière lui a donné un biscuit, un autre, un verre de jus d’orange. Il a souri, un peu, deux lèvres écorchées par le temps sec et les coups de la rue.

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Le Sergent s’appelle Lewis et le salue avec un « Salut Kim, tu t’es battu avec qui aujourd’hui? ». En guise de réponse, il cogne le plancher de ses talons, regarde ailleurs, mains derrière la chaise. De longues minutes passent, le policier continue de remplir sa paperasse, méthodiquement, en silence, et il finit par marmonner : « Personne ». Le regard du Sergent est lourd et étrangement intimidant, des yeux qui accusent gravement, qui murmurent : menteur, menteur, menteur.

Il s’est battu avec Connors aujourd’hui, parce qu’il l’a traité de sale chinois voleur de jobs. Il l’a étalé par terre d’un coup de pied aux côtes, puis au ventre, s’en est tiré sans même les jointures ensanglantées. Connors est un idiot, tout dans sa grande gueule, rien ailleurs, trop confiant en ses deux pouces supplémentaires sur le reste des gamins de son âge.

« L’Église nous dit de toute façon que c’est œil pour œil, dent pour dent. », a-t-il dit un jour au Sergent Lewis  et celui-ci a rétorqué platement : « Je suis catholique, pas protestant ».

Il n’a plus ramené l’argument.

Le Sergent ne cesse de le fixer et il ne peut s’empêcher de baisser la tête, de cacher ses propres yeux avec ses cheveux trop longs. Il n’aime pas l’air du policier, il n’aime pas cette vieillesse qui ne devrait pas encore y être siégeant au fond de ses prunelles, triste et dure, il n’aime pas avoir l’impression qu’il doit se faire pardonner quelque chose.

Pardonner quoi?

Il ne doit rien à personne.

-

Il a quinze ans lorsqu’il laisse tomber l’école. Ce n’est pas qu’il n’aime pas cela, pas exactement, c’est qu’il n’a pas la patience requise. Il n’est pas assez attentif, il ne voit pas suffisamment l’utilité des choses qu’ils leur apprennent, il ne voit pas comment cela pourrait être pratique dans la vie qu’il mène, dans sa réalité à lui. Du coup, plutôt que de s’endormir sur ses pupitres ou de sécher les cours pour trainer dans la rue, il laisse tout tomber.

Il quitte l’orphelinat le soir suivant.

Ses possessions sont maigres : quelques vêtements, une brosse à dents, une centaine de billets amassés plus ou moins légalement, son vieux collier bordé d’une croix ayant vu de meilleurs jours.

Il n’a nulle part où aller, mais il trouvera.

-

Il y a un petit restaurant italien deux ou trois quartiers plus loin et le patron est un type étrange, un peu absent, un peu trop à côté sans doute, mais il accepte d’embaucher un gamin de quinze ans comme serveur et c’est la seule chose qui compte vraiment au final. Le travail est le travail, l’argent reste de l’argent. (En bonus, il y a les repas gratuits occasionnels).

Il squatte pendant un temps un immeuble abandonné avec quelques autres types. Certains sont drogués jusqu’aux os, les yeux vitreux et la peau frissonnante, la plupart sont des jeunes comme lui, sans but précis, tentant d’échapper à un système qui n’est pas taillé pour eux. Le bâtiment est délabré, quelques meubles poussiéreux malmenés trainent par-ci et par-là, des matelas ramassés aux ordures sont jetés dans des coins de la pièce commune, un fouillis de vêtements s’étale partout au sol et des chandelles allumées, des lampes-torches parfois si l’on peut s’en procurer, servent de lumière.  Une odeur terrible flotte, un melting pot de pisse, de vomis, de moisissure et d’autres, mais avec le temps, elle finit par se fondre dans le calcaire effrité des murs. Il n’arrive pas vraiment à mesurer si le tout est pire ou mieux que l’orphelinat.

Dans cet immeuble, le silence n’est jamais vraiment présent, mais leurs voix sont toujours basses, comme enveloppée sous une lourde toile, et la sienne disparait presque.

Puis, il rencontre Jean. Grand belge, blond de paille, sourire conspirateur, Jean qui lui dit : « Tu as besoin d’argent? Je connais un type qui connait un type… », et il hoche déjà la tête, parce que qui n’a pas besoin d’un peu plus d’argent?

Si la chose s’avère moins légale que prévu, eh bien, c’est tant pis. Marcher droit n’a jamais été son fort de toute façon.

-

Il économise pour partir. Il accumule de l’argent entre les lames du parquet, un endroit précis marqué d’une vieille trace de brûlure qu’il est le seul à reconnaitre et dessous, un tissu jauni dans lequel il enroule ses gains.  Il économise pour s’acheter un billet de train qui lui fera traverser le pays, pour une poignée de motels délabrés, pour un régime de céréales et de nouilles instantanées, pour atterrir sur la bordure d’un monde qui n’est pas le sien. Il se sent dans un entre-deux, dans un moment de calme précaire où tout pourrait basculer dans un sens ou dans un autre et il a envie de pouvoir choisir là où il atterrira. Son destin est tentaculaire, une ombre noire écrasante qui se glisse dans chaque recoin, dans chaque regard, dans chaque coin de lèvres tournés. Pauvre garçon. C’est définitivement sans espoir.

Il se bat pour s’enfuir.

(Même s’il n’est pas certain de vouloir réellement s’échapper.)

-

Il refile des paquets à des gens dans des ruelles sans noms, à des gens derrière des meurtrières découpées sur de lourdes portes rouillées, à des gens au fond d’un restaurant, assis autour d’une banquette en train de fumer. Il refile des paquets dont il fait semblant d’ignorer le contenu et on lui donne de l’argent, de minces liasses froissées, avec un geste de la main désintéressé ou un coin de lèvre relevé. On lui dit parfois : « merci mon garçon, c’est toujours bien apprécié. Qu’est-ce que tu dirais de faire partie de…? »

À chaque occasion, il incline la tête et refuse. « Merci de l’offre, monsieur, mais je fais juste livrer le courrier moi ». Et l’autre rejette sa tête en arrière, s’esclaffe d’un rire gras, ou alors, sourit sobrement, fin et froid comme une vipère, une longue main cliquetant contre son verre à demi-rempli, disant : « Oh, mais j’ai entendu dire que tu te battais très bien… Daniels, c’est bien ça? Et puis, on a toujours besoin de simples livreurs dans des affaires comme les nôtres ».

Il serre les dents, ne sourit pas, ne lâche pas un mot, cache ses yeux de ses cheveux trop longs couleur de cendres. On lui attrape parfois le bras et tout son corps se crispe dans un réflexe de fuite ou défense, son poing se courbant instinctivement, ses jambes se campant durement, et on lui ajoute sur un ton presque caressant : « Ça ne te coûtera quasiment rien, que de bonne volonté et d’un peu de temps, et tu verras, tu pourrais te retrouver à ta majorité avec une place à faire rêver un politicien ».

« Je n’ai jamais été intéressé par la politique, merci quand même. »

Il prend l’argent, la fourre dans ses poches et s’en va sans un regard en arrière. Il ne peut pas regarder en arrière ou alors il se ferait engouffrer par une masse informe, noire et sombre, de rires mauvais et de regards dangereux, blancs comme une lame, rouges comme du sang, et il a l’impression à chaque fois d’échapper à un étau, à un boa constrictor en train de l’étrangler. Ils ne sont pas les seuls à tenter de le recruter, mais ils sont les vrais, ils sont les gagnants, ils sont ceux qui possèdent la montagne toute entière. Les plus durs et les plus faciles à refuser, les plus dangereux, les plus payants.

Il retient les noms, les surnoms, les visages, de petites encoches au fer chauffé dans le creux de sa mémoire. Il les grave au bas des murs de sa « demeure », contre le bois du plancher, à l’envers de vieux chiffons malpropres, jusqu’à les retenir sur le bout des doigts. Il barbouille ensuite ses traits de suie et de terre, les taille d’un couteau de poche qu’on lui a donné, inscrit svastika par-dessus signes anarchistes sur les murs pour tout effacer de ses traces. Les gens avec lui rient et l’encouragent, apportent des bonbonnes de peinture pour en asperger les murs, les faisant tous étouffer et laissant une horrible odeur chimique planer durant des jours dans les craques de la maison en ruine. Leurs inscriptions se dressent en grand, lettres énormes et déformées de rouge peint, coulantes comme une plaie ouverte.

Son identité à lui est inconnue, le dernier secret de moindre importance qu’il contient.

-

L’horizon explose de rouge, d’orange et de violet lorsqu’on lui arrache.

« Danvers? Kim Danvers? »

Il se retourne et sur sa tempe, on appuie le métal glacé d’un pistolet.

-

Ils n’ont rien de particulier, rien qui ne les diffère de tous les criminels insignifiants tapissant les rues de son quartier. Ils sont trois hommes, plus grands et larges que sa maigre carrure d’adolescent, possédant chacun une arme à feu visible en main et probablement tout autant encore camouflée sous leurs vêtements. Deux d’entre eux referment une poigne douloureuse sur ses bras, de gros doigts malmenés s’enfonçant sans ménagement dans sa peau, le trainant de force vers une voiture argentée stationnée face à un bâtiment condamné. Le troisième marche tout près, son pistolet enfoncé dans son dos, un clair avertissement, et malgré son t-shirt et sa veste, le froid de l’arme lui coule le long de la colonne vertébrale en écho.

Il ne se débat pas, pas même lorsqu’on lui enfile un bandeau opaque sur les yeux, lorsqu’on lui menotte les mains si serrées qu’il doit grincer des dents pour ne pas gémir.

On ne lui laisse aucune chance.

-

Il a déjà vu une arme à feu. Il en a déjà tenu une même, pendant un court moment, tout juste le temps de la soupeser et de constater à quel point c’était certes lourd, mais ô combien anodin.

Il connait son chant par cœur, la détonation, les cris qui suivent, le choc sourd d’une chose qui tombe, les jurons, les rires et l’odeur de métal, de poudre, de sang et celle plus profonde et insinue de ce qui est en train de mourir. C’est une constante distante de son quotidien, un élément non pas inhabituel, mais vague, se glissant au loin, sans impact sur sa propre vie. Il ne s’implique pas réellement, regarde à distance, un spectateur flanqué de la meilleure loge, une échappatoire toujours à sa portée, et les coups de feu restent de vagues sirènes retentissant dans la coulée morbide de la ville.

Dans une voiture qui roule trop vite, il ferme les yeux sur des larmes brûlantes et tâche d’ignorer le poids douloureux d’un pistolet s’enfonçant contre ses côtes.

-

Il savait qu’il jouait un jeu dangereux, mais il ne le savait pas vraiment.

-

On l’attache sur une chaise trop dure. Aucune lumière ne filtre au travers du bandeau noir lui couvrant les yeux, sa bouche est bâillonnée d’une boule de tissu recouverte de ruban adhésif, ses mains et ses chevilles sont sciées d’une corde épaisse et rêche. Des talons claquent au sol, une porte se ferme et il se retrouve seul. La pièce résonne de bruits parasites; gouttes d’eau rebondissant sur les tuiles du plancher, grésillement de néons au-dessus de sa tête, glissement des lames d’un ventilateur, bruits de pas au loin, mais c’est un silence blanc qui lui envahit la tête, un silence horriblement bruyant qui n’a pour fond que sa propre respiration.

Il est seul, seul, seul, restreint, immobilisé, impuissant.

Il tente de hurler, tire sur ses liens comme un forcené, se démène et bascule au sol dans un violent tintement métallique. Son épaule et son bras sont traversés d’une violente douleur, mais il l’ignore et ne fait que gesticuler davantage, rampant pitoyablement au sol, aveugle et muet, la respiration erratique, et il pleure, hoquète et pousse des cris étouffés, pris d’une terreur panique qu’il n’a jamais connue.

Le métal de la chaise crisse contre le sol et les notes sonnent comme l’archet qui dérape incessamment sur le violon. Ses tempes vibrent douloureusement du tambour que bat son cœur; il est submergé, englouti, incapable de tirer une plainte hors de ce fracas qui lui résonne jusqu’au creux des tympans. Tous ses sens sont en surchauffe, amplifiés et magnifiés, l’esprit et le corps de pure survie, et les mots dans sa tête hurlent– aidez-moi.

Il se noie et il est seul, seul, seul.

-

Un pied s’enfonce dans son ventre, un second sur son tibia, un troisième dans sa joue. La peau de sa bouche se coupe sur ses dents et le goût du sang déborde sur sa langue, se répand au fond de sa gorge, l’étouffe durement contre le ruban adhésif qui couvre ses lèvres. Des voix éclatent dans la pièce; ils parlent anglais, mais leurs exclamations sont trop fortes et trop inconsistantes pour qu’il arrive à rattacher un bout et l’autre avec le peu de conscience logique qui lui reste. Ils sont trois ou peut-être quatre, et ils lui tournent autour si bien qu’il ne sait plus d’où appréhender le prochain coup. C’est une main qui l’empoigne par les cheveux, une autre qui se glisse sur la chaise pour le redresser sans douceur. On lui tire la tête vers l’arrière et il peut sentir la dureté des néons éclairer son visage couvert de larmes.

On le gifle. Une fois, deux fois, trois fois. La tête lui retombe mollement contre sa poitrine. On lui souffle à l’oreille, odeur rance d’alcool et de tabac :

« Souris gamin, tu es filmé. Souris pour ton cher papa ».

- et les mots ne font aucun sens. Les mots sont absurdes et ridicules et ils percutent les niveaux de son esprit comme des enclumes de dessins animés, s’imposent jusqu’au fond de lui-même et s’y écrasent douloureusement.

« Nous voulons faire un marché, Mr Danvers. »

Les mots résonnent et il ne comprend pas.

-

« Alors là Kim, je t’avoue que j’ai de la misère à comprendre ton père. On lui propose une entente qui pourrait sauver sa carrière, voire le propulser au-devant des prochaines élections et il refuse. Catégoriquement. Et c’était un très bon contrat pour les deux partis; on sauve tous les deux notre peau avec quelques bénéfices mutuels en prime. Quoi de mieux pour un politicien? Mais non, Papa Danvers ne veut rien savoir. La démence, c’est de famille, tu crois, Kim? »

Dans la pièce vide, sa respiration ricoche contre les murs, bruyante comme une balle à rebonds.

« Ah là là, pas le choix maintenant. Prépare-toi à devenir une célébrité, Kim. Il faut bien que nos chers compatriotes savent pour qui ils vont réellement voter. »  

-
De nouveau, il est laissé seul. Le temps semble s’étirer indéfiniment alors qu’il attend, alors qu’il ne sait même pas ce qu’il attend vraiment. Les secondes se transforment en minutes qui se transforment en heures qui ne se terminent jamais. Un fouillis habite son esprit, une appréhension brutale loge dans ses muscles. En boucle, sa tête lui crie Danvers, Danvers, Danvers, Papa Danvers, Danvers, Danvers et il crispe davantage son corps jusqu’à en avoir mal, jusqu’à ce que les mots s’effacent avec les plaintes de douleur échappées.

L’enfant bâtard d’un politicien.

Il s’agite dans sa chaise, tire sur ses liens comme dans les premiers moments de sa capture. Quelque chose dans cette pensée lui enflamme les veines.

L’enfant abandonné d’un homme qui avait mieux à faire.

Il hurle par-dessus son bâillon, écho, écho, écho étouffé. Lui qui tentait de repousser le cercle vicieux de sa réflexion se voit alors englouti par elle, emporté tout entier, avalé par l’énorme bête des enfants laissés pour compte.

-

On revient le voir pour le frapper, pour le battre et lui cracher dessus. Il est par terre, renversé, les poignets et les chevilles en sang, les cheveux plaqués contre son front, sa nuque. Sa mâchoire est douloureuse, son bâillon est trempé de salive. Dans la pièce, ses cris se sont inscrits comme une gravure, comme un graffiti peint sur les murs.

-

Il ferme les yeux et il voit le bout du monde, le bout du néant absolu et ce train qui vient vers lui à une vitesse folle. Il garde les paupières closes : peut-être qu’il se fera bientôt percuter pour de bon.

-

Dans le couloir adjacent à sa petite cellule, quelqu’un hurle. Des bruits de pas précipités : on court, on passe devant sa porte, on fonce dans le mur, on crie, on tire. Les détonations sont familières; elle lui évoque la sensation fantôme du métal froid contre son flanc, sa tempe, sa bouche. Quelqu’un percute durement sa porte, puis s’effondre au sol avec un second bruit mât. Le silence s’installe, un silence poisseux, incompréhensible. Il est toujours fiché sur sa chaise, le corps trop raide, engourdi comme jamais, et cette fois, il n’a pas de bandeau sur les yeux et il regarde, il regarde la pièce sale et vide, entourée d’une immobilité qu’il ne sait plus comment appréhender.

Quelqu’un marche, ses talons à peine audibles parmi les sons parasites de la place. Quelqu’un marche vers la porte fermée qui lui fait face et il ne sait plus quel démon imaginer au-delà. Il pense, on les a tous tués et on vient m’achever.

La poignée tourne, coince, verrouillée. Pétarade sonore; on tire sur le verrou. Ça y est, ça y est.
On ouvre.

-

Il est à peine conscient lorsque les explosions éclatent le bâtiment les unes après les autres. L’air de l’aube s’illumine de langues de feu, s’assombrit de nuages de cendres et de poussière. Il le voit par-dessus l’épaule de celui qui le porte,  ses yeux épuisés peinant à rester ouverts pour le satisfaire entièrement du spectacle. Il se sent tomber et des taches rouges et dorés continuent de barbouiller sa rétine même une fois ses paupières fermées. Il songe à dormir une éternité durant.

-

On lui dit, Kim Danvers est mort.
Il répond, Je suis qui alors?

« Kyle Greenwood ».
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