Il rêvait de mort. Il rêvait de la terre, de ses tréfonds riches et par-delà, d’un royaume d’ombre, d’os et de désespoir. Il rêvait des enfers et se réveillait avec le goût du sang sur sa langue.
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Il y avait un fleuve, un long fleuve sinueux aux eaux goudronneuses, qui n’aurait pas dû exister. Il coulait sur son lit invisible, se faufilait entre et par-delà les choses et disparaissait au creux de la terre sans bruit. Sur ce fleuve se tenait parfois une barque. Une silhouette noire, encapuchonnée et sans visage, s’y dressait, immobile, une main tendue paume tournée vers le ciel, l’autre empoignant un long bâton noueux surmonté d’une lanterne. Le passeur avait un nom, un nom qu’il connaissait mais dont il ne se souvenait jamais.
Et le fleuve coulait sans cesse, il fuyait à ses pieds, aux pieds de ceux qui étaient morts, de ceux qui se préparaient à mourir, partout et nulle part à la fois.
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Il se vêtit de noir, de lourdes bottes et d’une ceinture épaisse, se déteignit les cheveux si pâles qu’ils en devinrent blancs.
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Il ouvrait les yeux et entendait une voix lointaine qui ressemblait étrangement à celle de sa mère (ou la voix qu’elle aurait eu s’il en avait seulement eu le souvenir) qui disait : « Tommy, Tommy, mon pauvre bébé, tu as encore fait un cauchemar? ».
Il déposait alors une main sur sa poitrine et sentait son cœur pulser, boum, boum, boum, incessant tambour découlant le reste de sa vie, boum, boum, boum, et il inspirait, expirait, inspirait, expirait.
Il ne faisait pas de cauchemars, il rêvait de vérités.
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Il retourna ses os sur sa peau, inscrivit la mort qui l’habitait sur son visage.